02 Juil Les questionnaires au tribunal
Mes webinaires sur la nouvelle loi QVCT commencent par un rapide historique. Avant de parler de Qualité de Vie au Travail, voire de Bonheur au Travail, l’attention s’est souvent portée sur les risques psychosociaux. Les RPS et les suicides qu’ils ont engendrés étaient justement au centre du procès France Télécom lors duquel, pour la première fois, des questionnaires ont été appelés à la barre.
Ecouter pour piloter le changement
Au tournant des années 2000, le passage de l’analogique au numérique représentait sans doute le plus grand projet de changement de l’histoire de France Telecom, en train de muer pour devenir le groupe Orange. Un défi en terme de compétences pour former des dizaines de milliers de collaborateurs sur les nouvelles technologies. Mais aussi de grands changements dans l’organisation pour mettre plus de personnes sur le commercial et se séparer de 22.000 collaborateurs !
Des outils avaient été mis en place pour accompagner ce changement. Plusieurs missions d’écoute avant 2009 et surtout le « grand » questionnaire technologia (voir le billet sur les techniques de conception) lorsque la vague des suicides a pris de l’ampleur. Mais ont-ils été utilisés correctement ? C’est sur cette question qu’ont porté une partie des plaidoiries des avocats des deux parties lors du long procès « France Telecom ».
Tenir compte des réponses
Le procès, démarré en 2019, n’est pas encore terminé puisque les dirigeants, condamnés à un an de prison dont 6 mois avec sursis, ont fait appel.
Une grande partie des débats ont porté sur la façon dont les outils de pilotage que représentaient les réponses aux questionnaires ont été utilisés ou pas. Les questionnaires en place détectaient déjà une tendance à la dégradation de l’ambiance de travail dès 2007. Ces signaux d’alarmes ont-ils été pris en compte par les dirigeants ? Des dirigeants qui ont d’ailleurs cherché parfois à rejeter la responsabilité sur leurs collègues. Le président directeur général expliquait lors d’une de ses prises de parole que la direction des ressources humaines ne l’avait pas informé à temps de l’importance de la crise. De véritables débats donc sur les résultats des outils d’écoute mais aussi sur leur prise en compte par la gouvernance de l’entreprise.
Lors d’une de ses interventions dans le cadre de ce procès, Christophe Dejours a suggéré de s’inspirer de ce qui se fait dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Sur ces chantiers, un accident mortel entraîne l’arrêt du travail. Hélas, sans doute à cause de l’inertie d’un groupe de +120.000 collaborateurs, ni les signaux d’alarme issus des questionnaires, ni les premiers suicides n’ont permis d’infléchir rapidement le projet en cours.
Des questions biaisées ?
Vous connaissez certainement l’histoire de l’homme un peu éméché qui cherche ses clés à la lueur d’un lampadaire. Quand un passant lui demande ce qu’il lui arrive il répond qu’il a perdu ses clés. Et quand le passant bien intentionné lui demande s’il est certain de les avoir perdues ici, il répond qu’il les cherche à cet endroit car c’est là qu’il y a de la lumière.
Les consultants sont parfois accusés de tomber dans ce piège consistant à aider les dirigeants à chercher leur clé là où ils ont vu de la lumière. Des outils à large spectre, comme la grille de questions proposée par LeDIAG abordent au contraire l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise et évitent de rester obnubilé par un problème en particulier. La page décrivant quelques « use-cases » sur notre site rappelle justement comment l’outil a aidé Yves à changer de regard sur son organisation.
Depuis quelques années, de nombreuses startups proposent des outils d’écoute du climat social ou de mesure de l’engagement qui offrent beaucoup de liberté de paramétrage aux managers. Ils sont libres de choisir la fréquence des interrogations et les questions disponibles dans une base de données ou même de créer leurs propres questions. Evidemment, il n’est pas possible d’interroger chaque jour chaque collaborateur sur un modèle aussi complet que celui que propose LeDIAG. D’ailleurs, même en ne posant que quelques questions, si cela est trop fréquent, le taux de réponses va diminuer rapidement. Mais surtout, en laissant chaque manager choisir les questions qu’il pose à ses collaborateurs on ouvre la porte à des biais importants. Car chaque manager va être tenté, consciemment ou non, de choisir les questions sur les seuls sujets qui le préoccupent. Il va aussi pouvoir sélectionner les questions pour lesquelles il est sûr d’avoir de bonnes réponses, celles qui vont le valoriser auprès de sa hiérarchie ! Attention donc aux biais amenés par certains outils laissant trop de liberté dans leur déploiement !
Dans les prochains procès verra-t-on des avocats accuser des dirigeants de ne pas avoir choisi les bonnes questions à poser à leurs salariés ? Ce ne fut pas le cas lors du procès France Telecom puisque les dirigeants avaient pris le soin de faire appel à des cabinets spécialisés sur ces sujets. Mais la liberté offerte par les outils au paramétrage très (trop ?) souple, va déplacer les responsabilités. Je dois reconnaître avoir déjà perdu quelques contrats lorsque les commanditaires potentiels me poussaient à les accompagner sur une vision trop partielle de la situation. De mon point de vue, les dirigeants doivent avoir le courage d’aborder l’ensemble des facettes de leur organisation puis tenir compte des résultats, même s’ils ne sont pas tous positifs.
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