Notre interview d’Emmanuel Souffrin

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Bonjour Emmanuel Souffrin, pouvez-vous nous dire quelques mots sur les grandes étapes de votre parcours ?

J’ai fait une partie de mes études d’anthropologie à l’Université de Nice avec comme sujet d’étude les problématiques identitaires des tsiganes. A cette époque, on m’a proposé un contrat de recherche sur l’île de la Réunion portant sur les questions d’inter-culturalité et d’appropriation du foncier par les populations issues de l’esclavage ce qui m’a permis de faire ma thèse sur ce sujet. J’ai eu ensuite l’opportunité de coordonner une enquête sur l’habitat insalubre, puis j’ai travaillé sur l’appropriation de la ville, sur sa transformation et je suis passé à l’évaluation des politiques publiques en participant à la création d’une équipe de consultants à La Réunion.

Je suis ensuite resté à La Réunion, cela fait trente ans. En 2000 j’ai créé le cabinet d’étude ESOI pour travailler sur les aspects sociologiques et ethnologiques auprès des organisations locales (associations, collectivités, etc.). On m’a souvent fait la remarque que ce n’est pas très courant d’avoir suivi un parcours universitaire pour monter ensuite un bureau d’études portant sur la recherche appliquée en sciences humaines. Mais les outils de l’ethnographie (approche du terrain, entretiens, observations) se révèlent très utiles.

 

Quel regard jetez-vous sur les politiques publiques que vous avez pu évaluer ?

J’ai démarré par l’évaluation des politiques publiques, plus précisément des politiques de la ville et des politiques de l’emploi sur l’Ile de La Réunion et à Mayotte qui est le département français le plus proche du mien. J’ai souvent fait équipe avec d’autres consultants et bureaux d’études, certains sont des architectes, des historiens, des urbanistes, des géographes, des travailleurs sociaux, des psychologues, des ingénieurs.

Lorsque l’on investit dans des expérimentations, et encore plus lorsqu’il s’agit d’argent public, il est nécessaire de rendre des comptes, de montrer comme l’argent a été dépensé. C’est notamment à cela que servent les évaluations que l’on mène.

L’une des caractéristiques des politiques publiques, c’est que ce sont les mêmes en métropole et en outremer. Est-ce un avantage ou un inconvénient ? On pourrait en discuter pendant des heures. En tout cas, contrairement à ce qui se fait dans le privé, les politiques publiques ont du mal à s’adapter au particularisme des territoires. Elles sont pensées de manière très top-down avec un cadre qui reste assez rigide.

 

Mayotte en est un exemple assez parlant et a régulièrement fait la une de l’actualité ces dernières années …

A Mayotte, la situation s’est durcie progressivement. Des sujets importants ont été laissés de côté durant des décennies, disons par frilosité. Je suis intervenu sur l’île pour la première fois il y a 20 ans et on m’a expressément demandé à l’époque de ne pas aborder le sujet de l’immigration. C’était pourtant l’une des préoccupations des acteurs de terrain et j’ai pu me rendre sur les lieux où les migrants vivaient, mais puisqu’il n’y avait aucune commande publique, je n’ai pas pu travailler sur leur situation.

Aujourd’hui, la situation est ce qu’elle est. On n’a pas pris en compte les effets que l’arrivée de 50.000 migrants pouvait avoir sur un territoire de 200.000 habitants, sur un territoire qui se trouve transformé par la départementalisation.

 

Ya-t-il des parallèles à faire entre ce type de situation et ce qui peut se passer en entreprise ?

Oui, dans les deux cas, il peut y avoir des sujets connus de l’ensemble des habitants ou des salariés, mais qui ne sont pas pris en compte dans le fonctionnement de l’organisation. A l’échelle de l’entreprise, cela pourrait être les questions de genre, de harcèlement ou d’usure au travail. Ces sujets sont connus depuis longtemps, mais on a encore beaucoup de mal à travailler dessus, toujours pour des raisons de frilosité des organisations.

 

Passe-t-on facilement de l’évaluation des politiques publiques au monde du conseil en entreprise ?

Ce n’est vraiment pas la même chose. La méthode et la gymnastique peuvent sembler assez proches : dans les deux cas on trouve des indicateurs, on regroupe et on interroge des personnes, enfin on en tire un bilan et un plan d’actions. Mais les attentes et les objectifs ne sont pas les mêmes. Lorsque l’on travaille sur des politiques publiques, les objectifs sont souvent assez flous. En entreprise, la discussion sur les objectifs est menée dès le départ et les choses sont clairement posées.

En fonction de la taille de l’entreprise, je peux intervenir seul ou en équipe. Par exemple, nous avons travaillé avec 3 autres consultants sur une douzaine d’établissements médico-sociaux à La Réunion durant 18 mois. Je suis donc venu avec un ingénieur en organisation, un psychologue, une spécialiste de la formation et c’est ensemble que nous avons pu dresser les problématiques rencontrées par ces organisations.

Même si cela peut être déstabilisant pour une organisation de travailler avec une équipe interdisciplinaire, c’est vraiment la solution que je recommande. Il existe des cabinets qui mettent en avant des solutions type boîte à outils, mais cela manque généralement de souplesse : le client connaît en général le type de réponse qu’il va avoir avant même d’avoir posé la question. Avec la constitution d’une équipe interdisciplinaire, on est sur un format beaucoup plus souple, plus à même d’aller au cœur des problèmes.

 

J’imagine que l’on doit beaucoup vous parler de Qualité de Vie au Travail depuis quelque temps ?

Aujourd’hui au sein des entreprises, la notion de travail est très impactée par la façon dont les personnes vivent en dehors de leur temps de travail. Il y’a énormément de fluidité entre le monde du travail et le temps privé. Cette fluidité, on la retrouve en entretien dès lors que l’on interroge les salariés. On se rend vite compte de ce qu’ils ramènent chez eux et de ce qu’ils ramènent de chez eux.

D’autre part, assez peu de gens travaillent réellement 35h. On travaille généralement beaucoup plus, ou beaucoup moins. Pour toutes ces raisons, il me semble intéressant de se pencher sur la Qualité de Vie et pas seulement de la Qualité de Vie au Travail.

J’interviens davantage sur des groupes que sur du coaching individuel et ce qui est pour moi le plus intéressant, c’est d’accompagner des équipes sur le temps long. On peut alors vraiment sortir de la plainte (« ça se passe mal à cause de … ») pour travailler sur l’amélioration.

 

Comment en êtes-vous venu à utiliser Diagnostic Management dans votre activité ?

Comme je vous le disais, depuis quelques années, je travaille beaucoup sur l’usure professionnelle, les risques sociaux, la Qualité de Vie. C’est en lisant des articles sur ces sujets que j’ai pris connaissance de l’outil Diagnostic Management. Je trouve l’approche très intéressante, car lorsqu’on intervient dans une entreprise, on passe beaucoup de temps à faire le diagnostic en laissant parfois de côté les expérimentations portées par les salariés. Le passage à l’action est trop souvent compliqué : soit le diagnostic est trop lourd pour être facilement mise en œuvre, soit il est trop léger et ne prend pas en compte des éléments essentiels de la transformation.

Ici, l’outil permet de rentrer rapidement en phase de diagnostic et de présenter des données fiables et comparatives en peu de temps. Cela permet de concentrer davantage d’efforts sur l’accompagnement au changement.

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