09 Jan Grand débat, petits outils ?
Le web s’enflamme sur le montant élevé du salaire de la présidente de la Commission Nationale du Débat Public. Madame Chantal JOUANNO vient donc d’annoncer qu’elle ne participerait pas au pilotage de notre grand débat décidé par notre Président de la République. Gardera-t-elle par contre sa rémunération, cible principale des critiques émises sur les réseaux sociaux ?
A mon avis le point vraiment critique se trouve ailleurs : la CNDP a-t-elle les moyens de mener un tel débat au niveau national dans de bonnes conditions ? Alors que la crise actuelle a été déclenchée par le gonflement de grognements partagés d’abord sur les réseaux sociaux avant d’enflammer les rues de notre capitale, quelle est la posture de la CNDP sur l’utilisation de ces outils ?
Pour en avoir une idée, je suis allé consulter le dernier grand rapport de la CNDP, portant sur la consultation citoyenne sur l’Europe, autre projet important poussé par Emmanuel MACRON. La lecture de la table des matières du rapport complet me met l’eau à bouche puisque la page 20 annonce une méthodologie innovante. Pour vous faire gagner du temps, voici deux copies d’écran de la méthodologie innovante présentée dans ce rapport.
En fait de méthodologie, il s’agit donc surtout de nouvelles structures mises en place, avec recrutement de nouveaux fonctionnaires (même si, soulignons le, un tiers de ces fonctionnaires ont été mis à disposition par leurs ministères d’origine).
Seule référence aux outils informatiques, le questionnaire en ligne portant sur 14 points importants pour l’Europe. Un bon point pour sa création participative (3 journées de travail en multi langues au Conseil Economique et Social Européen). Par contre le chiffre de 22.000 citoyens participants en France reste bien faible par rapport à celui de la dernière pétition proposant d’attaquer l’Etat français pour inaction climatique ! Mea culpa : j’avoue n’avoir pas répondu alors que le sujet m’interpelle mais je ne me rappelle pas non plus avoir été invité à le faire…
De nombreux débats participatifs ont eu lieu sur le territoire national mais les images disponibles montrent que nous sommes restés souvent sur des postures classiques avec des experts en tribune et des participants, participant finalement peu….Analysons par exemple la photo du débat organisé au consulat par l’association Pax Europa.
Le lieu est plus original qu’un grand hôtel ou une salle de congrès mais la posture des acteurs reste exactement la même. Les experts attendent assis de pouvoir prendre la parole debout chacun leur tour. Les participants écoutent. Certains sont sur leurs smartphones. Sont-ils en train de traiter leur courrier personnel ou de twitter les éléments clés du discours ? Bien loin en tout cas d’une utilisation optimale de certaines technologies.
Revenons un instant sur le site web de la CNDP. Il existe bien un document présentant les outils à mettre en place pour chaque commission particulière du débat public mais les termes employés sont à dix milles lieux du vocabulaire des startups qui ont investi le champ des outils collaboratifs. Peut on réellement en 2019 construire un débat participatif autour d’un site web avec un système de questions réponses ?
Ce constat me chagrine d’autant plus que d’autres chemins sont possibles ! A la fin des années 90, FORMITEL a facilité le déroulement de 2 grands débats publics : Boutre-Carros et A32. Dans ces années là, le Minitel était encore très utilisé. Pas question donc de se contenter d’un site web avec une fonctionnalité de questions réponses. Une base de données permettait d’enregistrer toutes les demandes émises par courrier, fax, Minitel ou via le site web. Le machine learning n’était pas encore très développé. C’était donc une intelligence humaine, avec une grille de classement thématique, qui analysait chaque demande pour en extraire les sujets clés et les adresser automatiquement aux experts capables d’y répondre efficacement. Un pari audacieux car nous avions du former chacun des experts à venir chercher quotidiennement dans le système client-serveur les questions qui leur étaient adressées. Et les connections internet étaient loin d’être aussi fiables et rapides qu’aujourd’hui : modem à 9600 bauds dans le meilleur des cas!
Bien entendu il n’est pas question de réactiver à l’identique un tel système mais quel dommage que la CNDP n’ait pas su capitaliser sur ces expériences, continuer à faire évoluer ces outils dont la conception avait été financée par un budget public! Aujourd’hui il semble bien que nous repartions de zéro : que peut-on imaginer d’autre qu’un site web avec questions-réponses et des débats oraux souvent à sens unique ? Mes lecteurs génération Y ou Z vont sans doute me répondre « forums ouverts » ! Mais pour avoir pris le temps de participer à plusieurs d’entre eux, l’animation est parfois flottante et la prise en compte des idées pour la suite plutôt aléatoire. Ainsi j’attends toujours la synthèse ou tout au moins la suite du dernier forum ouvert auquel j’ai participé il y a plusieurs mois !
La CNDP est sans doute l’entité la mieux placée pour organiser notre grand débat. Le fait qu’il soit piloté ou pas par Chantal JOUANNO est pour moi secondaire. Mais pour sa réussite il est fondamental qu’il s’appuie sur des technologies modernes permettant de donner la parole au plus grand nombre et de dégager rapidement des consensus ou des points de divergences. Ne gâchons pas cette opportunité d’inventer une autre France. Ne laissons pas les grandes puissances étrangères influer sur notre avenir juste parce qu’elles ont une pratique plus efficace que la nôtre de ces technologies!
Devra-t-on lancer une pétition en ligne pour inciter la CNDP
à utiliser enfin des outils plus modernes ?
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