12 Fév Notre interview de Christian Martin
Bonjour Christian Martin, pouvez-vous nous parler des points clés de votre parcours ?
Mon parcours, c’est avant tout une succession de passions : pour l’apprentissage d’abord, pour le sport, pour les langues vivantes, la poésie, la philosophie et bien d’autres choses encore. Si je regarde en arrière et tente une analyse : mon parcours, c’est d’abord la construction d’un curriculum pour apprendre ce qui m’intéressait. J’ai toujours fonctionné comme ça : enseigner pour apprendre.
C’était déjà le cas lorsque j’étais adolescent ; j’ai découvert l’athlétisme et j’ai rapidement commencé à coacher mes amis. J’ai poursuivi dans cette voie jusqu’à terminer ma première année de prépa en vue de devenir professeur d’éducation physique mais une vilaine blessure m’a forcé à changer de cap.
Mon amour des langues a alors pris le dessus. Après des études de langues à la Sorbonne (Paris IV) je suis successivement parti en Allemagne puis en Angleterre pour enseigner le français langue étrangère (FLE). Rentré en France, j’ai alors enseigné l’anglais plusieurs années.
En 1983-84, je me suis engagé dans ma première grande transition professionnelle en retournant à l’Université pour suivre une Licence de Concepteur Médiatique à Nanterre. Je suis passé du statut de professeur à celui d’ingénieur pédagogique à destination des adultes, avec un nouvel outil à disposition : l’informatique.
J’ai intégré une entreprise qui produisait un programme informatique (un langage auteur) permettant de créer ses propres cours en format didacticiel. J’y ai conduit des dizaines de projets et j’ai poursuivi ma carrière dans la formation, dans des agences e-learning et éditeur de LMS en France et en Suisse
Finalement, d’entreprise en entreprise, j’en suis arrivé à créer une nouvelle entreprise, la société Eumathos il y a une dizaine d’années. Eumathos est une société positionnée sur l’accompagnement de la fonction formation dans le process de la transition digitale, que de nombreuses entreprises connaissent aujourd’hui. Passer de la formation en salle à une formation en ligne ne se fait pas en un claquement de doigts: c’est un véritable changement de paradigme.
Parallèlement à cette activité, sur la recommandation d’une cliente que j’avais longuement accompagnée sur un projet e-learning de grande envergure, j’ai suivi une formation au coaching coactif en France et en Allemagne et cela marque une nouvelle et profonde transition pour moi. Je vis désormais en Allemagne et j’y développe une activité de coaching, principalement en direction des dirigeants de PME travaillant avec la France.
Vous continuez néanmoins votre activité centrée autour du Digital Learning. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que cela représente pour vous ?
Le Digital Learning est un concept fourre-tout. Jusqu’au début des années 2000, on parlait de formation ouverte et à distance (FOAD) puis on a appelé cela l’e-learning. En deux mots : c’est utiliser internet pour apprendre. Aujourd’hui, avec la transition digitale que l’on connaît on parle de Digital Learning, mais aussi de Mobile Learning, de Social Learning.
Derrière le terme de Digital Learning, je mets des technologies de transmission d’informations et de connaissances : des vidéos, des modules de ressources interactives, du Social Learning à travers les forums de discussion ou encore les réseaux sociaux. Le Digital Learning, c’est une combinaison de modèles pédagogiques, de technologies, de répartitions de temps d’apprentissage (le temps synchrone, celui de la classe virtuelle, du webinar ; et le temps asynchrone, celui du forum par exemple). J’ai fait a peu près tout ce que l’on peut faire dans ce domaine, mais il y a trois dimensions qui me tiennent particulièrement à cœur.
L’ingénierie des systèmes de formation : j’ai été formé à cela et j’ai conduit des centaines de projets en la matière. Il s’agit de concevoir les dispositifs et les ressources pédagogiques et parfois aussi de choisir les outils des systèmes de formation.
L’accompagnement : je sais accompagner à tous les niveaux de l’entreprise. Il y a différentes façons d’accompagner : tutorat, mentorat, sponsoring, … J’ai toujours coaché en matière de sport donc je crois que ma façon de faire se rapproche davantage du coaching sportif.
C’est d’ailleurs sur ce point que j’utilise Diagnostic Management : l’outil est un point d’entrée pour comprendre la problématique de mes clients. Il permet de révéler rapidement les points de blocage : est-ce la confiance ? le digital ? Lorsque l’on accompagne un client, on creuse toujours pour identifier là où le client à mal, et lui faire trouver, par lui-même, le chemin qui va lui convenir.
Le troisième point, c’est mon projet pour la décennie à venir, je l’ai nommé Dodecathlon. Je souhaite créer un institut, en Allemagne qui aura pour finalité de participer à l’intégration des jeunes, sportifs ou non, réfugiés ou non, autour de bons coachs. Pourquoi Dodecathlon ? Vous connaissez peut-être le Décathlon, qui est une discipline sportive composée de dix épreuves. Le Décathlon exige une grande discipline pour atteindre un bon niveau dans l’ensemble des épreuves sans en privilégier aucune. L’objectif est de trouver un équilibre optimum par rapport à ce que l’on est. Au décathlon, Dodecathlon ajoute deux dimensions, plutôt deux disciplines : l’amour ( plutôt l’art d’aimer tel que défini dans le livre d’Erich Fromm The Art of Loving) et la discipline philosophique. C’est le projet qui me pousse aujourd’hui et qui structure toute mon attention.
A quoi ressemble votre activité de coaching aujourd’hui ?
J’interviens sur l’ensemble du spectre : du patron au jeune qui arrive sur le marché du travail,
Au niveau des dirigeants, mon axe d’entrée, c’est l’organisation apprenante. Dans le cas idéal, un grand patron vient me voir et me dit « je veux que mon entreprise soit apprenante », c’est-à-dire plus rapide que les autres. J’explore avec le dirigeant ce qui chez lui (et en lui), pousse vers l’organisation apprenante ou empêche cette dernière de voir le jour.
C’est quasiment un travail d’architecte : on réfléchit à comment designer l’entreprise pour qu’elle devienne apprenante, aussi bien en terme d’organisation, de technologie, de ressources, etc. Pour le dirigeant, cela le renvoie à une dimension personnelle (« quelle sera mon rôle dans cette organisation apprenante ? ») et organisationnelle (« comment je conçois cette nouvelle entreprise avec les autres ? »).
Le jeune est également dans un choix d’orientation, mais plus simple. On essaye de découvrir ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas. Cela peut aller très vite si l’on comprend ses process d’apprentissage, ses connaissances connues ou cachées… tout ce qui peut orienter des choix positifs (« je souhaite faire ce métier non parce que mes parents veulent que je le fasse, mais parce que j’y vois un avenir et que j’aime faire ça. »). Cela reste du coaching, dans le sens ou je ne donne pas de conseil sur la trajectoire à suivre, je guide dans la recherche du chemin.
L’objectif avec le jeune, est de lui donner les clés de recherche en lui-même et dans son environnement afin qu’il puisse décider après avoir exploré un maximum d’options.
Vous avez beaucoup pratiqué le tutorat et le mentorat, pouvez-vous nous en parler ?
Tutorat et mentorat sont assez différents. Le tuteur est une personne très proche, dans le même métier que vous, et qui a pour fonction de transmettre ses connaissances, son savoir, qui sera nécessaire à une bonne compréhension du métier.
Dans les dispositifs de formation, le tutorat est une fonction pro-active qui permet d’optimiser les taux de réussite en soutenant la motivation des apprenants. L’objectif du tuteur est de garder un maximum de personnes à bord, sur l’ensemble du parcours d’apprentissage. En fait, le tutorat, c’est une forme de management, l’intervention tuteur est toujours réfléchie elle s’appuie sur des règles et prend en compte les particularités de chaque tutoré.
Le mentorat s’inscrit dans une relation de longue durée : il a une fonction d’éclaireur dans une organisation. Le mentor accompagne généralement sur 10-20 ans. C’est une relation plus lointaine, on se voit de temps en temps et on discute de sujets que l’on ne pourrait aborder avec le tuteur ou le manager, trop proche, trop impliqué. Enfin, le mentorat repose sur une alchimie entre deux personnes : les deux doivent-y voir un intérêt mutuel pour que la relation soit durable.
J’ai personnellement mentoré 5 à 10 collaborateurs, partenaires, clients sur des périodes de 20 à 30 ans. Et je continue !
Puisque vous êtes installé en Allemagne, vous devez voir émerger des différences culturelles dans la manière de travailler, d’entreprendre.
C’est assez amusant, mais en effet, il y a deux différences simples que j’ai pu vérifier : la relation au temps et la relation à l’espace. En Allemagne, il est extrêmement important d’être ponctuel, peut être moins vital qu’au Japon mais pas loin. Arriver en retard est très grave de ce côté-ci du Rhin alors qu’en France, on a une grande tolérance vis-à-vis de ce type de comportement.
De la même manière, lorsqu’on ouvre une porte sans y avoir été invité, on est dans l’intrusion et c’est mal vu. Les Allemands que je connais ont un sens de l’espace personnel qui est bien plus développé qu’en France.
Une dernière chose que j’ai pu remarquer : si vous expliquez le fonctionnement d’un objet technique à un allemand, il ne va jamais se contenter de vos explications. Il va soulever le capot et regarder comment ça marche en dessous. En France, si l’on vous montre un bel objet, vous allez l’admirer et l’acheter sans trop vous poser de questions sur la manière dont il fonctionne vraiment. Mais il faut vivre longtemps dans un pays et développer une grande intimité avec les habitants pour percevoir ce type de différences et les prendre en compte dans son propre comportement. Cela vaut naturellement pour la compréhension des différences culturelles qui font obstacle à la collaboration et nuisent à la confiance mutuelle.
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