02 Fév Le management toxique
Qu’est-ce qu’un manager toxique ? C’était le thème de l’échange organisé ce mardi 30 janvier par l’UODC. Jean Besançon animait la présentation avec Jean Michel Frixon, ex-ouvrier dans le groupe Michelin et Jean-Christophe Guérin ancien directeur du manufacturing dans le même groupe.
Jean-Michel Frixon est l’auteur de deux livres « Michelin, matricule F276710 » puis «l’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres ». Certains écrivent parfois pour se décharger d’émotions douloureuses, se reconstruire. Mais chez Jean-Michel les émotions sont encore bien présentes lorsqu’il nous décrit ce qu’il a vécu il y a des décennies.
Il nous a partagé la façon dont un manager avait décidé, lors d’un plan de licenciement, qu’il le considérait comme un parasite dont la société n’avait plus besoin. Il œuvrait au sein du service courrier depuis de longues années mais il n’avait aucun diplôme, même pas le certificat d’étude ni le BEPC, donc c’était à lui de partir. Malgré ce licenciement brutal, Jean-Michel a pris le temps de finir sa semaine. Il a ainsi été sauvé par une personne bienveillante du service du personnel qui lui a finalement proposé de passer en équipe 3×8 dans un autre service s’occupant de décharger les camions. Il a eu la chance, dans ce nouveau poste, de tomber sur un manager qui a compris sa détresse et la quasi-dépression dans laquelle il était tombé. Plus tard encore il s’est retrouvé en face d’autres managers négatifs. Capables par exemple de le féliciter pour son engagement et le travail accompli tout en lui tendant une feuille signalant que son augmentation était de 0%.
Heureusement le groupe Michelin a pris la mesure de ces difficultés dans le management et mis en place différentes actions pour que les opérateurs puissent redevenir acteurs. En particulier un système de cartes, vertes si l’on est satisfait d’une situation ou rouge au contraire si l’on a identifié un problème à gérer. Les cartes rouges sont destinées au supérieur qui doit faire disparaître le problème ou le transmettre à son propre supérieur s’il ne peut pas le résoudre à son niveau. Certaines cartes peuvent ainsi remonter jusqu’au COMEX pour des problèmes complexes impliquant plusieurs services.
Jean-Michel Frixon avait aussi la chance d’être un triple champion du monde de marche athlétique. Ce qui l’a sans doute aidé à surmonter ses difficultés quand il s’est retrouvé face à des modes de managements toxiques et destructifs. Ce n’est pas le cas de tout le monde dans le groupe Michelin. Il nous a aussi confié avoir vu, dans les équipes de nuit, certains collègues très alcoolisés qui n’avaient plus que ce moyen pour continuer à supporter leur environnement de travail.
Le témoignage de Jean-Christophe Guérin en tant que ex responsable du manufacturing pour l’ensemble du groupe Michelin était tout aussi passionnant. Il a reconnu que, dans les années 2000, l’organisation du groupe était très pyramidale. On attendait de l’ouvrier qu’il dépose son cerveau en arrivant le matin sur son poste de travail et qu’il se contente d’exécuter les tâches qui lui étaient confiées.
Le groupe Michelin était-il alors en retard par rapport à d’autres groupes industriels ? Pour avoir participé en tant que consultant à plusieurs projets Qualité Totale dans les années 80-90, il me semble qu’il existait déjà beaucoup de démarches visant à rendre les opérateurs plus autonomes, leur donner les moyens de résoudre leurs problèmes dans des cercles de qualité avec des méthodes originales (QQOQCP, Pareto, Ishikawa…). Peut-être que la culture des « BIB » , particulièrement forte, était plus difficile à faire bouger ?
Mais les choses ont bien changé dans le groupe. Aujourd’hui les équipes de nuit et de week-end font tourner les usines sans présence systématique de la hiérarchie. Tout est fait pour faire du groupe une organisation responsabilisante. Le système de carte What Is Important Now de couleurs verte et rouge déjà décrit plus haut y est sans doute pour quelque chose. Ce sont vraiment les supérieurs hiérarchiques qui se mettent au service de leurs collaborateurs en s’engageant à traiter les problèmes qui leur sont remontés.
Dans le cadre du projet « Avancer Ensemble » le groupe Michelin a mis en place une enquête annuelle sur l’engagement des collaborateurs. Celle-ci permet de mesurer les progrès de l’organisation. L’engagement des collaborateurs qui était nettement plus faible au départ est maintenant comparable à celui des cadres. Il est aussi intéressant de noter que, si les résultats sont anonymisés, chaque manager dispose de ses propres résultats. Il sait donc comment il est évalué par ses collaborateurs. Il doit même présenter ses résultats à son équipe puis à son manager. Un support de dialogue pour travailler sur les éléments négatifs et les actions à mettre en place pour s’améliorer.
La complicité entre Jean-Michel Frixon et Jean-Christophe Guérin a manifestement permis de bousculer les habitudes. À la suite de la publication de son premier livre, très critique sur son vécu lors de certains moments de sa carrière, le directeur du manufacturing pour l’ensemble du groupe a proposé à son ancien ouvrier de faire lui le tour de l’ensemble des usines françaises pour témoigner de ce qu’il avait vécu sur le terrain
Ces conférences visites ont déclenché beaucoup d’émotion parfois même des larmes de certains managers. Jean-Michel a su parler au cerveau gauche et pas seulement au cerveau droit. Cela a dû demander beaucoup de courage. De la part du responsable du manufacturing du groupe pour initier des échanges aussi innovants. Mais aussi de Jean-Michel pour ces multiples témoignages puisque, encore ce soir, nous avons ressenti beaucoup d’émotion lors de ses récits. Dans une logique de « apprendre avec le cœur » plutôt que « apprendre par cœur », il y a maintenant systématiquement des managés qui viennent s’exprimer lors des formations de managers. Les postures changent. Dans une des usines, les opérateurs ont choisi d’afficher cette phrase « le chef s’occupe de nous et nous on s’occupe du reste ». Dans une logique de responsabilisation des opérateurs, ce sont eux qui gèrent les plannings de vacances et peuvent aussi devenir correspondants pour la sécurité, la qualité, la maintenance…Si ce texte vous en a donné l’envie, vous pouvez retrouver une vidéo témoignage de Jean-Michel Frixon sur Arte.
Beaucoup de questions dans la salle, souvent posées par des représentants syndicaux. Par exemple pour savoir s’il y avait des sanctions déclenchées lorsque les évaluations n’étaient pas à la hauteur des attentes. A priori la sanction n’est pas automatique. Mais de mauvaises évaluations peuvent accélérer une mutation ou un départ vers la retraite.
Pour ma part je reste un peu déçu que l’on n’ait pas du tout abordé l’aspect de la digitalisation de l’organisation. Normal de ne pas avoir parlé de télétravail puisque cela est rarement possible pour un ouvrier travaillant en 3×8 sur une ligne de production. Mais je pense qu’en dehors du système de carte pour traiter les problèmes et d’écoute des collaborateurs les outils permettant d’échanger rapidement de l’information peuvent exercer une influence sur le management. Les exemples concrets de mauvais management que nous a présentés Jean-Michel étaient centrés sur un mépris total d’un manager pour un collaborateur. Mais nous avons aussi rencontré par ailleurs des modes de management toxiques car centrés sur la rétention d’informations. La posture ‘je suis le chef parce que c’est moi qui ai l’information et que j’évite de la partager’ est encore trop courante. Est-ce que le groupe Michelin a aussi mis en place des actions pour « désiloter » l’information ? Cet échange n’a pas permis de le savoir. Cette infographie issue de l’analyse des milliers de diagnostics enregistrés par LeDIAG montre hélas que cette appropriation des outils collaboratifs par les managers est loin d’être généralisée.
J’ai évidemment écouté avec une attention particulière tout ce qui tournait autour du projet « Avancer Ensemble » et de l’outil d’évaluation. Toutes les structures n’ont pas la possibilité de mettre en place un outil aussi sophistiqué que celui de Michelin. Je me réjouis donc que lediag puisse proposer une solution abordable quelle que soit la taille de la structure. La solution LeDIAG permet d’ailleurs aussi de regrouper automatiquement les évaluations des collaborateurs pour qu’un manager puisse comprendre et faire évoluer ses pratiques. Toutefois, le diagnostic proposé porte aussi sur la qualité de l’organisation et de l’implantation des outils digitaux. Car un bon manager dans une mauvaise organisation a le choix entre la faire évoluer ou… fuir. Donc, si vous souhaitez faire baisser votre turnover, prenez le temps de réaliser votre autodiagnostic.
J’ai choisi d’illustrer ce billet par une image d’une montagne de pneus qui manifestement ne sont plus tout à fait neufs. Une curieuse idée me direz vous ? Mais bon, après tout, ce billet parle du groupe Michelin, le fabricant de pneus le plus connu à travers le monde. Mais j’ai pensé aussi aux pneus que l’on jette et à ceux que l’on réchappe, qui ont droit à une seconde vie. Jean-Michel Frixon est resté sur le récit de ses relations avec ses différents managers. Mais, personnellement, je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec des managers qui auraient tendance à « changer de pneus » un peu trop souvent, sans se soucier de ce qu’ils deviennent ensuite…
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