08 Fév Comice ou conférence ?
Comice ou conférence ? Telle est la question posée par le marchand de fruit ce dimanche matin au marché lorsque j’exprime mon souhait de lui acheter des poires. Deux noms de poires qui ont aussi un autre sens. Cela m’a donné envie de revenir sur la différence entre comices et conférences. Surtout que notre grand comice national, le fameux salon de l’agriculture, va bientôt ouvrir ses portes. J’ai été assez surpris de constater que ce marchand, qui s’efforce pourtant de proposer des produits bio ou des productions locales, n’avaient jamais entendu parler des comices agricoles.
Les comices agricoles
Pourtant les comices n’ont pas totalement disparu. On retrouve assez facilement leurs annonces sur le web ou dans la presse quotidienne régional qui en fait l’éloge chaque été dans les départements les plus ruraux. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si des comices plus actifs ne nous auraient pas permis d’éviter de voir autant de tracteurs bloquer des autoroutes à travers tout le pays.
Les premiers comices
Le site de l’académie de l’agriculture reprend l’historique de ces comices. Ils étaient bien au départ une structure permettant de réfléchir et de faire évoluer le métier et les pratiques des agriculteurs. Ce serait d’ailleurs le comice horticole d’Angers qui aurait donné son nom à la poire « doyenné du comice » plus couramment appelé « comice ».
En 1833 une circulaire d’Alphonse Thiers, qui était alors simple ministre et pas encore second président de notre République, décrit ainsi leur rôle : « Ces comices ont pour but d’établir des rapports fréquents entre les agriculteurs d’une même contrée ; de leur donner ainsi les moyens de conférer sur les meilleures méthodes de la culture pour les mettre ou les faire mettre ensuite en pratique et constater les résultats obtenus« .
Mais les comices, qui ont le droit de choisir librement leur président, peuvent rentrer en concurrence avec les sociétés départementales d’agricultures.
En 1851 une nouvelle loi leur donne des responsabilités qui pourraient sembler très modernes en termes de gouvernance. Pour diffuser les meilleurs pratiques agricoles elles se chargent de distribuer des semences sélectionnées et de fournir les reproducteurs. Elles servent aussi de relais au gouvernement pour assurer la distribution des subsides, la répartition des prix et médailles. Un système sans doute plus souple que la distribution actuelle des subventions européennes, à l’origine d’une partie de la suradministration dénoncée par nos agriculteurs.
La concurrence
L’apparition des syndicats, rendue possible par la loi de 1884, amène une concurrence directe aux comices. Les syndicats et les coopératives prennent de l’importance. Les fonctions de recherche assurées au début par les comices sont reprises par les laboratoires des syndicats, les stations d’élevage et les organismes de recherche nationaux qui vont se mettre en place.
La perte d’influence
Flaubert n’a pas été très gentil avec les comices. Dans son roman Madame Bovary, il utilise l’événement du comice agricole pour critiquer la société provinciale de l’époque et pour mettre en lumière les aspirations romantiques et les désirs insatisfaits de son héroïne, Emma Bovary. Flaubert nous propose une vision sarcastique et ironique de la société provinciale. Il souligne les comportements superficiels, les rivalités mesquines et les aspirations vides de certains personnages.
Flaubert n’est sans doute pas le seul coupable. Les comices ont perdu progressivement de l’influence. La plupart des concours sont maintenant organisés au niveau national, en particulier lors du Salon de l’Agriculture. Les comices semblent toutefois être restés un moyen de créer du lien entre le monde rural et les urbains. Les rencontres organisées par les villages prennent souvent d’autres noms : fête des moissons, fêtes des vendanges, fête du cochon…. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez retrouver l’historique des comices agricoles sur une page du site de l’académie de l’agriculture rédigée par Nadine Vivier.
Les conférences
La poire conférence a une origine anglaise et doit son nom au fait qu’elle a été présentée lors d’une conférence de la société royale d’agriculture au royaume uni. Comme la comice donc, elle porte le nom de la réunion qui a permis d’annoncer sa création. De plus, elle est presque de la famille de la comice puisqu’il s’agit d’un croisement entre la «doyenné du comice » et la « williams » !
Il m’a semblé intéressant de revenir sur l’historique des comices agricoles. Difficile de faire la même chose sur la notion de conférences qui existent sous des formats trop variés. Mais puisque ce blog est consacré aux problématiques de management et digital, il me parait aussi opportun de faire la parallèle avec les différents types de conférences mises en place pour faciliter la gouvernance dans nos entreprises, mais aussi au niveau de notre nation, voire de la planète.
Au niveau mondial vous avez certainement entendu parler de la COP28 (voir billet sur le site diag26000) ou encore le World Economic Forum de Davos. On va surtout à Davos pour se montrer et créer des alliances plus que pour prendre de graves décisions. Les COP sont là, elles, pour tenter de sauver ce qui reste de notre planète. Leur objectif est bien de déboucher sur un texte permettant d’avancer ensuite sur des mesures concrètes. Intéressant de remarquer que les COP ne pourraient pas avancer sans les nombreuses réunions de préparation au niveau local, plus proches du fonctionnement des comices présentés ci-dessus.
Au niveau national, le Grand Débat de 2019 a été une autre forme de conférence qui se voulait participative. Officiellement, il s’agissait de donner la parole aux citoyens, y compris avec l’aide d’un site web dédié. Comme les comices (ou d’autres structures de gouvernance comparables dans les domaines hors agriculture) ne remplissent plus leur fonction de dialogue entre le terrain et le sommet, notre Président Emmanuel Macron a décidé d’aller directement à la rencontre des citoyens. Quelques années plus tard, les retombées de ce Grand Débat ne semblent pas très visibles. Les pages web qui en parlent montrent surtout que cela a permis à notre président d’exprimer ses idées face à différentes assemblées de citoyens. La synthèse des fameux cahiers de doléance se fait par contre toujours attendre. Si vous vous intéressez à la façon dont une même technologie peut être utilisée de différentes façons, jetez un œil sur ce billet qui compare le Grand Débat et le Vrai Débat. Ils reposaient tous les deux sur la même technologie mais les possibilités finalement offertes aux participants sont bien différentes !
La santé et les URPS
Nous venons de parler des comices agricoles. Et vous avez sans doute lu entre les lignes mon regret que leur existence n’ait pas rendu inutiles les dernières manifestations parfois violentes. La santé a aussi ses soucis en termes de gouvernance territoriale.
Ainsi, alors que l’exécutif voudrait bien mettre fin aux déserts médicaux, les URPS, Unions Régionale des Professionnels de Santé sont dans le collimateur de la Cour des Comptes. Elle dénonce des financements mal adaptés et mal distribués (voir l’article des Echos).
Je regrette souvent que nos dirigeants ne soient pas mieux formés à l’importance de ces réseaux, qu’ils soient territoriaux, professionnels, patronaux, syndicaux… En dehors de l’utilisation individuelle par certains de ces réseaux pour se mettre personnellement en avant, leur importance pour le succès d’une nation me paraît largement sous-estimée dans leurs prises de décision. Peut-être existe-t-il des cours sur ces sujets à l’Institut National des Services Publics, l’ancienne ENA? En tout cas, lors de mes 3 années à Centrale Paris dans les années 80 ce fut silence radio sur ces sujets. A peine nous parlait-on des syndicats de salariés pour nous expliquer qu’il fallait à tout prix les éviter et s’en méfier.
Comice ou conférence ?
Comice ou conférence ? Cette comparaison de deux espèces de poires (en partie cousines !) m’a emmené un peu plus loin que prévu. N’est ce pas amusant de constater que ces deux poires portent le nom de la structure de gouvernance qui a annoncé leur création ?
Vous l’aurez compris, mon sentiment est que nous manquons cruellement de structures participatives efficaces, dans nos entreprises, mais aussi dans l’organisation de notre société. Il nous faut plus de comice et moins de conférences… Le réveil de ces structures est peut-être encore plus important dans une époque où certains craignent que le principe de la démocratie soit menacé à court terme. Les innovations en entreprise peuvent sans doute fournir des exemples inspirants. Les technologies aussi peuvent être utiles pour rapprocher l’exécutif de ce que pense le terrain. A condition qu’elles soient utilisées à bon escient et sans introduire de biais volontaires ! Je suis donc particulièrement fier d’avoir participé à la création du label QV2T, basé sur une cartographie participative de la perception de la QVCT par les collaborateurs. Car aucun collaborateur ne doit être pris pour une poire !
Il reste à imaginer la même chose au niveau national pour sortir des sondages trop simplistes sur « qui va être au second tour ».
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