L’enfer numérique

L’enfer numérique

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Dans la série des #upconf, le groupe SOS nous proposait d’échanger avec Guillaume PITRON, dans le cadre sympathique mais un peu bruyant du Point Ephémère.

Guillaume PITRON est l’auteur de « l’Enfer Numérique, voyage au bout d’un like », édité par « Les liens qui libèrent ». Toujours intéressant d’écouter une personne qui a pris le temps de passer de l’autre côté du miroir et tenter de comprendre ce qui se passe lorsque l’on like simplement un post.

Il souligne un paradoxe criant entre la raréfaction des ressources, en particulier de certains métaux, et les promesses de virtualisation, telles que celles portées par le métaverse. Il ne croit pas au choc de la fin des métaux rares. Pour lui les techniques d’extraction vont évoluer et l’homme va aussi aller chercher ces matières dans des endroits inexplorés, voire à l’extérieur de notre planète. Par contre le prix de ces extractions va augmenter et aménera à réserver l’utilisation des produits mobilisan ces ressources à quelques happy fews.

Les puces

Les smartphones sont de drôles d’objets. D’une part parce que leur esthétique, souvent très soignée, fait vite oublier la complexité des systèmes qui permettent aux likes de traverser la planète.Car ce design séduisant est de fait la seule interface visible entre l’internaute et le monde numérique. D’autres part parce qu’ils sont un exemple type de la mondialisation avec un nombre incroyable d’entreprises intervenant dans l’extraction des matières, la conception des systèmes puis la fabrication et l’assemblage des éléments qui vont nous permettre de téléphoner et surfer au quotidien.

Pour lui Internet à une odeur : celle du beurre rance. Il a pris le temps de visiter les mines de Mashan en Chine, d’où provient 70% du graphite mondial. Et c’est cet élément, présent dans tous les maillons de la chaîne de traitement de nos données, qui diffuse cette odeur dans les villes entourant ces mines.

Il faut ensuite fabriquer les puces. 1000 milliards par an d’après certaines estimations. Ce qui laisse tout de même une moyenne d’une centaine de puces pour chaque habitant de notre planète.. (ndlr) Ce chiffre peut sembler élevé mais d’après certains experts, la seule consommation de puces par l’industrie automobile devrait dépasser ce chiffre en 2028 (voir article usine nouvelle).

Une grande proportion de ces puces viennent de Taïwan, produites par TSMC : Taiwan Semiconductor Manufacturing Company. La fabrication de ces puces représente une consommation électrique pratiquement équivalente à deux tranches de réacteurs nucléaires. La consommation d’eau est aussi très importante et il arrive même qu’elle doive être importée des montagnes par une noria de camions citernes lorsqu’elle vient à manquer sur place.

Les data centers

Nous avons aussi beaucoup parlé des data centers avec Guillaume, forcément puisqu’ils sont une des briques importantes de l’écosystème Internet.

Il est passé par Dashburn, la « data centers city » au sud de Washington. A priori par moins de 70% des données mondiales y transiteraient chaque jour. Et il en revient effrayé par la façon dont les américains détruisent les sommets des montagnes dans les Appalaches pour extraire plus vite le charbon dont une grande partie est destinée à produire l’électricité alimentant les centres de données tout proches. (ndlr) Cela me rappelle un peu mon enfance à la Grand Combe, dans les années 60, au milieu des Cévennes défigurées par les mines parfois à ciel ouvert et les terrils qui poussaient un peu partout.

Nous avons fait aussi un tour de côté de la Laponie où Facebook a installé en 2016 son premier data center en Europe. Les ingénieurs de Facebook ont choisi cet endroit balayé par des vents glacés pour consacrer moins d’énergie au refroidissement des ordinateurs. Mais comme beaucoup de data centers ce centre est très bien protégé et le gardien n’a pas voulu laisser Guillaume rentrer pour dire bonjour à ses amis cachés là quelque part dans les disques durs des machines. Ils devaient pourtant bien se trouver là, au milieu des données de quelques 600 millions de personnes hébergées sur ce site. D’ailleurs, peut être êtes-vous passé sans vous en rendre compte par ces grands hangars pour pouvoir lire ce billet ? A quoi bon se déplacer puisque 30 millisecondes suffisent pour qu’un de nos likes fasse un aller retour entre la France et la Laponie !

Assez logiquement les data centers sont souvent proches des grandes villes, afin de pouvoir attirer facilement les compétences techniques pointues pour les faire tourner. Mais il leur faut aussi des arrivées électriques fiables, des connections internet à haut débit et …. ne pas être trop proches des aéroports pour limiter les risques d’accidents. Car, contrairement aux centrales nucléaires, ils sont rarement conçus pour résister au choc avec un avion de ligne. Des métiers inattendus apparaissent ainsi, comme celui des agents de data center, chargés de trouver les bonnes surfaces encore disponibles correspondants à ces multiples critères.

Les grandes villes qui hébergent ces usines à données se révoltent parfois un peu. Ainsi d’Amsterdam qui a imposé un moratoire sur l’installation de nouveaux centres de données lorsqu’un des élus a dénoncé le fait que ces entrepôts de données représentaient déjà 10% de la consommation totale d’électricité de cette capitale. Un peu comme les réactions à la multiplication des locations AirBnB, la ville a décidé de se donner un an pour apprendre à mieux contrôler ce développement peut être trop rapide.

Les data centers ont beau être très bien protégés et souvent associés à des solutions de secours, il rappelle que la double panne d’OVH en 2017 a montré que, même si sa probabilité de survenancee d’un événement reste extrêmement faible, il peut toujours survenir. Pour rappel, cette double panne avait une cause externe aux data centers de Roubaix et Strasbourg qui ont été soumis au même moment à des défauts simultanés de plusieurs des canaux d’alimentation électrique. OVH qui a eu la malchance, quelques années plus tard, de voir un autre de ses centres partir en fumée quelques jours avant son introduction en bourse. (ndlr) OVH reste malgré tout un grand groupe français capable de gagner des marchés en face des GAFAMS et hébergeant des milliers de site en France. Vous êtes d’ailleurs en train de lire ce billet grâce à un serveur OVH !

Les câbles

Une autre brique de l’écosystème internet, invisible des utilisateurs finaux, sont les câbles sous marins. Ces tuyaux sont la seule solution pour faire transiter les données d’un continent à l’autre et il faudra sans doute attendre encore quelques années avant que cela soit possible par des liaisons satellites, pour le moment plus coûteuses et offrant de plus faibles débits.

De nouveaux câbles sont installés pour remplacer ceux qui ne sont plus utilisables. Guillaume a ainsi assisté à l’arrivée en Vendée du câble « Dunant » de 6.600 kilomètres de long, installé par Google pour relier la France à la côte est de Etats Unis.

La Chine a bien compris l’intérêt de ces gros tuyaux et les a même intégrés dans sa stratégie de la route de la soie en installant en 2021 un câble reliant directement le pays du soleil levant à Marseille. Les chinois ont aussi racheté de nombreuses entreprises pour disposer des compétences permettant de maîtriser le fonctionnement des récepteurs et répéteurs nécessaires au fonctionnement des cables.Ces cables sont donc présents dans les stratégies géopolitiques des grandes nations et peuvent aussi prendre une soudaine importance en cas de conflit. Si les russes coupent les câbles permettant à l’internet ukrainien d’être relié au reste du monde, cela sera-t-il considéré comme un acte de terrorisme ou un crime de guerre ? (voir article huffingtonpost).

Les grandes entreprises posent beaucoup de nouveaux câbles mais prennent rarement le temps de récupérer les anciens au bout de leur, en moyenne, 15 années de service. Cela laisse la place à de petites sociétés africaines qui tentent de repêcher les cables avec un grappin car il n’est pas toujours facile de les retrouver. Même si des cartes existent, les courants ont pu les amener assez loin de leur implantation d’origine.

Et la planète ?

D’après Guillaume le comportement individuel du citoyen n’a hélas qu’un effet limité sur l’écosystème. Le plus impactant est sans doute de garder son matériel, téléphone et ordinateur, le plus longtemps possible, sans céder à la course à la puissance et aux nouvelles fonctionnalités. L’appel récurrent à vider sa boite mail n’a par contre que peu d’effet face à la consommation de streaming en train d’exploser. Le texte écrit ne représente qu’une toute petite partie des flux internet.

Au niveau des entreprises, beaucoup de choses sont possibles pour une sobriété plus grande du numérique. Mais les sirènes du Métaverse chantent fort bien et beaucoup de marques de luxe testent déjà ces univers très gourmands en ressources.

Les états ont aussi une grande responsabilité sur la réglementation et les normalisations. Mais la COP27 qui vient de se terminer (voir billet sur diag26000) a remis en évidence les difficultés pour faire converger les points de vues, que ce soit entre grands blocs géopolitiques ou même entre les différents pays composant l’Europe.

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