Des « algos » et des hommes

Des « algos » et des hommes

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Le digital c’est le MetaVerse et la réalité augmentée mais c’est aussi nombre d’algorithmes, souvent cachés dans l’ombre du nuage, qui peuvent avoir une importance considérable dans certaines phases de la vie d’un être humain. Ce billet vous propose de passer en revue 3 étapes clés : l’orientation, le début et la fin d’un job.

Orientation

Avant d’aborder les algorithmes proprement dit, un peu de storytelling personnel qui montre que, même avant la généralisation de l’informatique, le choix du chemin à suivre après le Bac n’a jamais été un long fleuve tranquille. Je fais partie des dernières générations ayant passé le bac avec une règle à calcul. En 1977 c’est un dossier papier que j’ai rempli à la main pour indiquer ce que je désirais faire après ma terminale C. Avant même le Bac je savais déjà que mes 3 premiers choix étaient refusés. Le système était donc assez réactif mais ma motivation était plutôt moyenne pour aller passer les épreuves du bachot. J’ai quand même eu le courage, une fois ma mention en poche, de prendre ma plus belle plume pour écrire au proviseur du lycée Saint Louis, premier choix sur ma liste. Ouf ! Il m’a accordé un entretien. Et, pour la petite histoire, c’est grâce au bridge qu’il est revenu sur sa décision. Je suis rentré en classe préparatoire dans son établissement en lui promettant d’organiser des tournois de bridge. Promesse que j’ai tenue malgré le planning serré des cours, devoirs et « colles ». Peut-on encore aujourd’hui « contourner » ainsi les circuits de décision ? Je n’en suis pas certain…

règle à calcul graphoplex

En 1977 le Minitel commençait à peine à décoller et j’ai eu la chance d’éviter le 3614 code RAVEL qui a fait couler beaucoup de larmes dans ses premières années de mise en place (vidéo). Puis est venu le temps du web avec le lancement d’ Admission Post-Bac. Ce portail a commencé par être utilisé dès 2002 pour les classes préparatoires avant d’être étendu ensuite à la quasi totalité des formations. Un article de Cédric Villani consultable dans les archives du journal Le Monde reprend les principales critiques faites à l’algorithme d’ABP. Par exemple le fait que les formations sélectives pouvaient sélectionner les candidats en fonction de leur sexe et leur lycée d’origine ou que certaines places étaient attribuées par tirage au sort. Le mode d’emploi distribué aux étudiants comportait la bagatelle de 30 pages !

APB

En 2018, ABP est remplacé par ParcoursSup. Comme APB, Il s’appuie lui aussi sur l’algorithme de Gale et Shapley pour organiser des « mariages stables » (les curieux pourront trouver plus de détails sur wikipedia). Une grande différence tient au fait que les candidats peuvent mettre en attente une place accordée s’ils espèrent une meilleure place. Une stratégie d’anonymisation des profils est mise en place mais le lycée d’origine de chaque jeune reste visible. Comme pour son prédécesseur, les organisateurs se sont fait un peu tirer l’oreille pour fournir l’intégralité des algorithmes utilisés.

Pratiquement impossible de construire un système parfait pour classer en quelques semaines plus de 900.000 étudiants dans 20.000 formations. Mais il est fascinant de voir l’importance qu’un algorithme peut avoir sur l’avenir professionnel de toute une tranche d’âge. Qu’est ce qui va remplacer ParcoursSup ? Va-t-on voir arriver une couche d’intelligence artificielle complexifiant un peu plus le système. Pour le moment les responsables des formations ont encore la main sur quelques paramètres permettant d’influencer la façon dont le classement leur attribue des candidats, mais pour combien de temps encore ?

Recrutement

Là encore je me permets de revenir sur mon vécu. En 1990, FORMITEL a recruté un premier technicien via un questionnaire de connaissance administré par Minitel avec nos outils maison. Cette expérience m’a d’ailleurs montré à quel point l’on peut être aveuglé par la hiérarchie des diplômes dans notre beau pays. FORMITEL avait besoin de compétences en C++ et réseau Novell (oui, c’était avant internet, il y avait des réseaux locaux!). Mon expérience précédente de manager dans l’industrie m’avait appris que cela correspondait à un niveau bac+2, bac+3. Nous avons donc organisé un processus : petite annonce dans un journal papier emmenant vers un diagnostic interactif évaluant les connaissances du candidat. C’est à la fin, après avoir découvert ses scores, que le candidat était invité à envoyer son CV, et seulement si son profil calculé par le diagnostic correspondait à la demande. Deux heures après la parution de l’annonce nous voyons passer un profil avec de très bons scores. Et nous avons ensuite la surprise de découvrir le CV d’un ingénieur Arts et Métiers. Dans un processus plus classique nous aurions laissé de côté ce CV, étant convaincus qu’il était sur-diplômé par rapport à notre poste. Mais ce jeune homme avait envie de programmer. Il a été recruté rapidement et a travaillé plusieurs années sur nos développements avant de partir créer sa propre société.

Plus récemment, les start-ups agissant sur les processus de chasse et recrutement se sont multipliées. Il en existe plus d’une centaine dans l’écosystème français et les décideurs ont bien du mal à choisir. D’où la nécessité pour chacune de lever des millions d’euros qui vont surtout être « brulés » dans des actions de communication pour sortir du lot et se faire identifier. Une immense majorité se concentrent sur une automatisation des processus papier et le rapprochement des cv avec les offres ou les descriptions de postes. Certaines, comme 365 Talents, vont un peu plus loin dans l’approche compétences (si d’autres ont approfondi cet aspect, n’hésitez pas à commenter cet article !).

A ce jour nous n’avons pas repéré d’offre proposant un diagnostic interactif dédié à un poste comme nous l’avions fait en interne 30 ans plus tôt. C’est bien dommage car cela permet de sortir des stéréotypes induits par les CV mais aussi de travailler en groupe aux questions qui vont constituer le diagnostic individuel : un excellent exercice d’intelligence collective sur les besoins réels du poste à pourvoir. Et donc un risque de moins de se séparer du candidat avant la fin de la période d’essai.

L’IA est déjà utilisée par plusieurs des solutions à des niveaux variés. D’après certains chercheurs, elle ne permet hélas pas d’éviter les biais cognitifs (voir l’article sur developpez.com). L’exemple le plus médiatisé reste la solution construite par Amazon pour recruter ses nouveaux livreurs. Elle s’appuyait sur les profils des livreurs recrutés lors des 10 dernières années et a ainsi sous estimé la possibilité d’une femme d’exercer un tel emploi. Il y a aussi les outils d’analyse comportementale basés sur les mouvements faciaux, les intonations et le vocabulaire des candidats. Sur ce sujet, la solution de HireVue a pris une telle importance aux USA que certaines universités forment les étudiants non plus aux clés de la communication entre êtres humains mais à la façon d’obtenir un bon score dans l’analyse effectuée par le logiciel. Aurons-nous bientôt des solutions permettant d’analyser le comportement des avatars des candidats dans le MetaVerse ?

Licenciement

L’informatique peut choisir les gens qui rentrent travailler dans une société mais elle peut aussi se charger de sélectionner ceux qu’il faut éjecter.

licenciement

Sur ce sujet aussi Amazon fait partie des exemples les plus médiatisés. Comment décider de qui se séparer quand on pilote une entreprise de plus d’un 1,5 million de salariés au niveau mondial. Il est vrai que la tâche n’est pas aisée. L’activité de chaque livreur est contrôlée par un algorithme qui peut décider de les licencier si leurs notes se dégradent, sans possibilité de tenir compte des cas particuliers. La vague des 18.000 licenciements prévus pour 2023 va être plus difficile à automatiser car elle concerne des profils très variés avec des salariés travaillant aux RH, dans l’électronique grand public et les magasins physiques. A l’heure où j’écris de billet certains doivent avoir du mal à dormir le soir car Andy Jassy, PDG de la compagnie, a annoncé le 4 janvier que le « couperet » tomberait à partir du 18 janvier. Certains vont hésiter à ouvrir leur boîte mail dans les prochains jours…

L’exemple Twitter a aussi provoqué de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Après le rachat, interminable, de la firme pour 44 milliards de dollars, Elon MUSK a mis en place une stratégie plutôt expéditive pour licencier presque la moitié des 7.000 salariés. Un exemple de « off boarding » brutal mais efficace. Un premier message pour demander à l’ensemble du personnel de ne pas venir travailler le lendemain. Un second message envoyé soit sur la messagerie personnelle pour indiquer que l’on ne faisait plus partie de l’entreprise, soit sur la messagerie de l’entreprise pour indiquer qu’on avait le droit de revenir travailler. Il devait tout de même y avoir 2 ou 3 personnes qui étaient certaines de rester dans l’entreprise. Celles qui ont été chargées de couper les accès à la messagerie et aux réseaux locaux, de désactiver les badges d’accès physique de tous les salariés dont l’algorithme d’Elon MUSK avait décidé de se séparer.

Même sans parler des abus de certains algorithmes, ce choix n’a jamais été facile à opérer. Nous avons tous en mémoire l’importante crise et la vague de suicide déclenchée par les impératifs imposés à chaque manager d’unité de France Telecom au début des années 2000. Certes, des logiciels avaient été mis en place pour comparer la production et la performance de chaque personne. Mais les managers restaient finalement les seuls décisionnaires pour suivre le plan de Didier Lombard qui souhaitait se séparer d’un salarié sur cinq.

Merci d’avoir lu ce billet jusqu’au bout. Il souligne une fois de plus l’importance que l’informatique prend dans certains processus RH et le management en général. N’oubliez pas qu’il existe un diagnostic interactif pour vous aider à faire le point sur ces différents aspects dans votre organisation. Il est encore en accès libre à titre individuel alors profitez en :

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