Télétravail et neurosciences

Télétravail et neurosciences

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Bonjour Nawal, vous êtes docteure en sciences cognitives mais aussi co-fondatrice de Rising up paris pouvez-vous nous en dire plus ?

Je suis passionnée par la capacité qu’ont les humains d’apprendre tout au long de leur vie. Ceci m’a amené à faire une thèse en sciences cognitives et un post-doctorat. J’ai centré toutes mes recherches sur nos capacités d’apprentissage et j’ai étudié cela chez l’adulte, l’enfant et même les nouveau-nés. J’ai cherché à comprendre les origines de nos compétences, voir comment elles se développent, se modulent en fonction des environnements dans lesquels on vit. Pendant toutes ces années de recherches je me rendais compte qu’il y avait de nombreuses découvertes scientifiques en laboratoire mais qu’elles étaient très peu connues de la part des parents avec lesquels je travaillais, mais pas seulement. Je m’en suis rendue également compte en donnant des conférences au grand public ou encore en entreprise. Je  constatais qu’il y avait des décalages ou des fausses croyances sur le fonctionnement du cerveau, notamment que les émotions étaient largement négligées lors des prises de décision.

Cela m’a amené à co-fondé Rising up avec Hicham Abboub qui est aussi mon frère. Au sein de Rising up nous concevons et déployons des programmes, par exemple de formation sur le développement des soft skills. Nous utilisons toutes les avancées de la recherche et nous nous appuyons aussi sur la technologie pour délivrer ces savoirs. Des recherches ont montré que quand on fait des solutions de « blended learning » (apprentissage hybride) c’est-à-dire que l’on associe à la fois du digital et du présentiel (collectif) on peut apprendre plus facilement et plus rapidement. C’est ce mixte technologique que nous mettons en place pour vous permettre d’apprendre quand vous voulez, en asynchrone, avec du collectif et des mises en situations. Maintenant tous nos programmes de formations sont 100% en distanciel.

Pourquoi cela demande-t-il un effort supplémentaire à notre cerveau d’être en visioconférence ? Qu’est-ce que cela change/implique par rapport au présentiel ?

Une des grandes différences est que le cerveau ne va pas traiter les informations de la même manière parce qu’il n’a pas les mêmes informations à sa portée. En visioconférence versus le réel il y a beaucoup d’informations qui sont dégradées, principalement sur deux niveaux.

Le premier est un niveau perceptif. Vous percevez moins bien les yeux, le regard direct, vous voyez moins bien les mouvements du visage associés aux émotions. C’est plus difficile d’aller capter ces émotions et ça c’est justement d’un point de vue technologique que cela se joue. Il y a des micro-décalages, qui se calcule en millisecondes qui vont perturber votre perception.

 Le deuxième niveau est plus cognitif, social. Quand vous êtes en interaction sur la visioconférence, à cause de ces problèmes perceptifs, vous allez être confronté à des ambiguïtés. Par exemple vous n’allez pas savoir si votre interlocuteur est plutôt content ou mécontent car vous ne captez plus ces petits signaux. Il y a pas mal de silences qui surviennent dans les réunions parce que spontanément personne ne prend la parole. Tout le monde attend des signes qu’on ne voit pas. Et donc tout cela peut créer des situations d’inconfort.

Ces deux niveaux sont extrêmement présents en visioconférence et c’est ça qui va demander à notre cerveau plus d’efforts pour reconstruire la bonne image et s’adapter avec ces situations d’ambigüités. Toutes ces ambiguïtés (micro-décalage, ouvrir son micro, prendre la parole) ce sont des efforts supplémentaires pour notre cerveau. Au bout de quelques heures, toutes ces résolutions de problèmes que vous faites de manière constante, vont demander beaucoup d’énergie à notre cerveau et vont vous faire entrer en fatigue mentale. Cette fatigue mentale peut être ressentie très rapidement :  les yeux qui piquent, du mal à suivre ce que dit l’interlocuteur. Vous sentez que vous faites un réel effort pour rester concentré. Heureusement notre cerveau est dynamique. Il va s’adapter et recharger ses batteries quand il n’est plus en visio. Il va reprendre de l’énergie attentionnelle. Mais si l’on ne fait pas de pauses et que l’on cumule les visios on ne peut jamais recharger les batteries et l’on épuise ses ressources mentales et attentionnelles. A long terme cela peut créer des phénomènes d’anxiété, d’inconfort. J’ai par exemple des clients qui ont peur le matin qui me disent : « je ne sais pas comment je vais faire ma semaine. J’ai tellement de réunions en visio. Rien que d’y penser cela m’angoisse ».

En fonction de notre expérience cette fatigue mentale va être modulée. Il y a des personnes qui ont inconsciemment des stratégies efficaces, vont rapidement comprendre et mettre en place un certain nombre de choses. Et d’autres qui essayent en vain, mais ne trouvent pas de solution efficace. Et c’est là que, dans le management, viennent des problèmes par rapport à la gestion des visios. Nous ne sommes pas tous égaux face à la visio. Cela dépend de nos expériences, de la connaissance que l’on a de soi. On sait que le cerveau n’a pas fini de se développer avant 30-35 ans. En fonction de nos âges cela peut être différent, notre système attentionnel n’est pas aussi fort, il n’a pas atteint sa maturité fonctionnelle. Il y a une légende avec la génération des « digital natives » comme quoi ils sauraient mieux utiliser les outils. Certes, ils ont une meilleure connaissance de ces outils mais ils peuvent se laisser happer par un certain nombre de choses. Ils ont moins de stratégies efficaces pour venir réguler leur attention. Ce n’est pas parce que l’on est né avec la technologie que l’on sait bien l’utiliser, surtout en ce qui concerne la régulation de la fatigue mentale. Tout cela n’est qu’une question d’apprentissage, comme tout, cela s’apprend !

Avant, les neurosciences étaient davantage associées aux comportements d’achats. Qu’est-ce que les neurosciences apportent au télétravail ?

Le neuro marketing est un mouvement qui s’est beaucoup développé dans les pays anglosaxons, aux États-Unis, au Canada, en Angleterre. Les neurosciences sont une science très jeune, les premières données de neuroimagerie datent des années 90-95. A l’échelle de la science c’est donc très récent. Depuis les années 2000 nous avons une explosion de la recherche. Les neurosciences cognitives nous aident à comprendre comment notre cerveau traite massivement les informations et comment il les intègre les unes avec les autres. En ce moment il y a ce boom de ces neurosciences qui viennent remettre en question plein de choses, notamment des croyances profondes que nous avons de l’humain et qui sont en fait, complètement fausses.

Pendant longtemps on a dit qu’il fallait mettre les émotions de côté, qu’elles n’influençaient pas nos choix. Cela est une hérésie en science, car on ne peut pas prendre de décisions sans émotions et nous n’avons pas d’émotions sans prise de décision. Les neurosciences nous montrent que, quand on est en train de prendre une décision, il y a tout le système émotionnel qui est activé et qui vient influencer nos choix. Mais la question est comment parvenir à bien les détecter pour bien les maitriser ? Pareil cela s’apprend, c’est un apprentissage, ce n’est pas inné !

Dernièrement avec l’arrivée massif du télétravail, nous avons essayé de nous adapter en tentant de reproduire ce que nous avions dans nos journées classiques et nous avons démultiplié les temps en visio. Le résultat est là : fatigue, surcharge mentale, irritabilité, anxiété, etc. Mais pourquoi la visio-conférence est-elle aussi consommatrice d’énergie mentale ?

Là encore nous pouvons nous appuyer sur que la recherche a prouvé : être en visio-conférence demande plus d’attention, de concentration à notre cerveau qu’une réunion ou un échange dans la vie réelle. Les neurosciences cognitives nous donnent plein d’explications à ce phénomène de la zoom fatigue. A nouveau pour ne plus subir ces conséquences, il faut comprendre comment nous fonctionnons, notamment notre cerveau pour trouver des stratégies adaptées ! C’est ce que nous faisons dans tous nos programmes de formation sur le télétravail depuis 1 an maintenant !

Qu’est-ce que nous avons appris sur notre cerveau qui le rend si spécial ?

Avec l’arrivée de l’Intelligence Artificielle, qui a progressé en même temps que les neurosciences, on s’est rendu compte que le cerveau faisait des choses d’une manière beaucoup plus complexe que ce que l’on imaginait. D’ailleurs les ordinateurs n’arrivent toujours pas à reproduire ce que fait notre cerveau en termes d’économie d’énergie. Notre cerveau a finalement besoin de peu d’énergie pour calculer pleins de paramètres alors qu’un ordinateur a besoin d’énormément d’énergie. On est toujours en train d’essayer de comprendre comment un nourrisson peut apprendre autant de choses aussi rapidement. Cela signifie que l’on a des choses innées en nous, qui sont programmées, voire automatique. Prendre soin de son cerveau pour garder une bonne santé mentale est donc une priorité surtout en ce moment et encore une fois cela s’apprend !

Vous allez sortir un guide sur les bonnes pratiques du télétravail. A qui est-il destiné ? Et pouvez-vous nous en décrire quelques-unes.

Nous avons créé ce guide car nous nous sommes rendu compte qu’il y a énormément de choses que l’on ignore sur le fonctionnement de notre cerveau. Nous voulions apporter un meilleur usage de la visio et du télétravail de manière générale. Ce guide contient des faits scientifiques et des éléments concrets pour adapter vos usages. Ce guide de la visio est destiné aux personnes qui sont en télétravail mais aussi à tous ceux qui travaillent dans des environnements numériques et qui ont besoin de mieux gérer la charge mentale. Il faut faire attention à cette surcharge, faire en sorte qu’elle apparaisse le plus tard possible.

Un des premiers conseils à donner est : est-ce qu’il doit y avoir une visio ou pas ? Est-ce que l’on ne peut pas faire autre chose que la visio ? Deuxième conseil si visio il doit y avoir :  est-ce que l’on envoie bien en amont l’ordre du jour de cette réunion. Car en France c’est notre spécialité. On adore se voir, faire des réunions. Mais elles pourraient être plus efficaces avec une meilleure organisation. L’ordre du jour est important car il permet d’engager les personnes, de savoir de quoi on va parler, de connaitre les choix et les priorités. Il ne s’agit pas de se voir pour se voir car à ce moment-là on fait plutôt un café virtuel, avec un but bien différent. Une réunion ce sont des prises de décisions collectives et si l’on ne s’organise pas bien il va y avoir beaucoup d’ambiguïtés et de difficultés.

Un autre conseil vient de ce que j’ai évoqué tout à l’heure en parlant des captures attentionnelles. Lors des visio nous conseillons de supprimer l’affichage de votre vignette personnelle car elle va vous mettre en double tâche : vous cherchez à vous positionner à la fois sur votre visage et celui des autres. Votre œil va faire beaucoup de « switches » attentionnels en passant d’une vignette à une autre et cela engendre de la consommation d’énergie mentale. Il faut donc économiser ses ressources attentionnelles et identifier ce qui consomme de l’énergie pour gagner en efficacité, être moins fatigué et plus efficace.

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