Télétravail et place de la femme

Télétravail et place de la femme

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La crise du COVID-19 serait-elle un catalyseur de nos fractures sociales ? C’est ce que semble penser le sociologue François de Singly dans l’article du Monde : « Le confinement a été révélateur des inégalités qui structurent la vie familiale ».


Je vous propose dans ce billet d’explorer d’autres études et chiffres sur l’impact du télétravail sur la place des femmes dans nos sociétés.

Charge mentale au temps du Covid

Les inégalités de genre déjà bien existantes, ont été exacerbées par le télétravail. Elles sont en effet nombreuses et persistantes. Le télétravail révèle les inégalités profondes qui subsistent au sein des foyers, ceci est très justement développé dans l’enquête de l’Ined (Institut national d’études démographiques). En ce qui concerne le juste partage des tâches domestiques et de la charge mentale les femmes et les hommes ne sont globalement pas totalement égaux. Les femmes disposent également moins d’une pièce à elle dédiée au télétravail, selon Anne Lambert (Sociologue et responsable de l’unité de recherche Logement, inégalités spatiales et trajectoires à l’Ined). Il n’y a que 26% des femmes qui disposent d’un espace personnel dédié contre 41% des hommes. Ce phénomène s’accroît chez les cadres, avec 47% d’hommes ayant leur propre espace consacré au travail en distanciel.

Virginia Woolf l’évoquait d’ailleurs très justement dès 1929 dans Une chambre à soi, toujours terriblement d’actualité en 2020. Elle souligne la nécessité d’avoir un espace dédié aux femmes, que ce soit pour exercer leur créativité ou tout simplement pour leur liberté propre .

Effectivement, parmi les parents ayant des enfants âgés de moins de 16 ans et travaillant en distanciel, 47% des femmes déclarent passer plus de 4 heures par jour à s’occuper des enfants, contre 26% des hommes. D’après l’INSEE, 21% des femmes ont renoncé à leur travail pour s’occuper des enfants contre 12% des hommes. A la sortie du premier confinement, en mai 2020 de nombreuses femmes étaient heureuses de retourner travailler en présentiel et de retrouver l’accès à une existence propre.

“La généralisation du télétravail équivaudrait, dans l’état actuel de nos sociétés, à une aggravation des inégalités entre hommes et femmes !”
Alexandre Lacroix- Philosophie magazine n°44- Novembre 2020.

La défi principal réside donc dans la difficulté à cloisonner sa vie professionnelle et familiale. D’autant que si leur poste était possible en télétravail, elles n’avaient pas le droit à un arrêt «garde d’enfant». L’homme aurait donc davantage «la possibilité de la cloison» que les femmes.

S’occuper de la progéniture et de l’école à la maison durant la première vague du confinement serait-elle donc l’ apanage des mères/des femmes ?

Dans les foyers plus aisés à salaire équivalent dans le couple (ou quand la femme gagne mieux sa vie), les prérogatives domestiques sont reportées sur d’autres femmes.

Caroline Ibos, sociologue: « La figure de la nounou éclaire les relations restées inégales entre sexe autour des questions domestique et familiale. Les femmes fuient l’humiliation en humiliant une tierce personne » extrait de son livre «Qui gardera nos enfants?» paru en 2012. Il est ainsi révélé que les hommes ne prennent toujours pas plus leurs parts dans cette situation. Les hommes prennent néanmoins de plus en plus conscience de la charge que représente une double journée.

Télétravail et violences conjugales

D’autres difficultés émergent également à l’occasion de cette crise sanitaire. Cette crise met en lumière des problèmes récurrents et ne fait malheureusement que creuser encore un peu plus les inégalités sociales et de genre.

Pourtant selon l’INSEE, la présence des femmes sur le marché du travail français a bien augmenté depuis 1975, l’écart de points avec les hommes était alors de 31 alors qu’ en 2018 cet écart est passé à 8 points.

Concernant les violences faites aux femmes, pendant le confinement cela a encore plus accentué le phénomène. Le travail émancipe mais ne protège pas toujours des violences. Dans la newsletter Économie des Glorieuses, rédigée par Anne-Dominique Correa saison 2 épisode 2, les notions d’argent et de pouvoir sont analysées de manière pertinente ainsi que la division du travail genré, les violences conjugales et les féminicides.

Il y a eu, en effet, pendant le premier confinement français (17/03-11/05/2020), une hausse de 36% de signalements de violences conjugales. Le travail en présentiel permet de garder le lien avec l’extérieur et de pouvoir s’extraire d’un foyer qui peut s’avérer sclérosant et violent.

Bien que 68% des femmes françaises soient en activité professionnelle, les violences conjugales ne sont pas corrélées avec une hausse de l’activité professionnelle. Et les milieux sociaux dits favorisés (CSP+) ne sont pas non plus épargnés contrairement à ce que l’on pourrait intuitivement croire.

Selon une étude suédoise menée par Sanna Ericsson, la conséquence d’attentes des stéréotypes de genre tels qu’«une femme devrait se montrer chaleureuse et non compétitive »est le «Blacklash Effect».

La propension à être victime du “Backlash Effect” augmente chez les femmes avec un bon niveau d’études et des revenus plus élevés, révèle Sanna Ericsson, l’autrice de “Backlash: Undesirable Effects of Female Economic Empowerment” (2020). Donc le fait de mieux gagner sa vie (pour une femme ) que son conjoint ne garantirait pas d’être à l’abri des violences conjugales mais au contraire engendrerait cet effet pervers.

Le télétravail fragiliserait donc un peu plus l’équilibre au sein des ménages et serait un terreau favorable pour les violences conjugales ou du moins, il agirait comme un catalyseur. La crise sanitaire, le confinement et le télétravail mettent en évidence un manque d’équilibre au sein des couples et on peut penser que, suite à cette crise, une prise de conscience générale aura lieu.

Pour Jean-François Billeter, dans Esquisses, «Nous sortirons de la crise par le haut, in extremis» . A la lumière des problèmes de fracture sociale qui s’accentuent avec l’essor du télétravail, il est à souhaiter que nous trouvions des solutions pour résoudre enfin celui récurrent de l’inégalité de fait entre les femmes et les hommes. L’attitude proactive du partenaire est essentielle et indispensable pour contrer les violences faites aux femmes et tendre vers l’égalité ensemble.

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